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Les yeux de chair et de sang

D’écrivain à écrit vain

26 Mai 2012 , Rédigé par Pape Lat Publié dans #Simulacres de réflexion

encriertestament
      J’ai, durant ma tendre enfance, entretenu une vision assez singulière de l’écriture. Vision idéaliste, sacrale, sacro-sainte même, me risquerai-je à dire. J’avais poussé la romance jusqu’à me faire une idée toute particulière de la manière d’écrire : étaler fiévreusement ses mots sur du papyrus avec une plume initialement trempée dans un encrier, du Jazz en fond sonore, une bougie parfumée à proximité, de la citronnade à portée de main. Je me représentais (avec veulerie, c’est le cas de le dire) les écrivains dans leur labeur. Ces mystérieux êtres, absorbés, l’œil gauche fermé, la paupière jaspée, la veine saillante qui bat fébrilement sur la tempe, une pipe aux commissures des lèvres qui ne se desserrent que pour inhaler la fumée au milieu des nuits… Ecrire tout, n’importe quoi… Des billevesées, des historiettes de sangsues… Qu’importe ! Tant qu’il y a l’art d’écrire et le sérieux qui sied à cette pratique… Le reste, n’en avoir cure. Pour l’enfant que j’étais, écrivain était synonyme d’esthète et donc de personne affichant une désaffection certaine à l’égard de tout ce qui est en dehors du raffinement, du sérieux et de la beauté factuelle. Beauté qui, à mes yeux, se devait d’être présente aussi bien dans les textes que dans la manière d’être de l’écrivain. Il y avait, à mon goût, pour ainsi dire, le commun des mortels et les écrivains.

 

      Mais cela, je l’ai dit tantôt, c’était durant ma prime jeunesse. La vie étant ce qu’elle est et les certitudes se viciant au gré du temps, ma conception originelle de l’écriture s’est altérée tout comme une bonne partie de mes convictions infantiles. J’abhorre aujourd’hui le paralogisme qui voudrait que toute écriture soit empreinte de gravité, de sagesse qui, du reste, n’est que la marque d’un sérieux dégoulinant. Les choses sérieuses m’importunent prodigieusement. L’écriture à laquelle j’adhère est celle de l’alanguissement, de la légèreté, de l’humour, de la mauvaise foi. J’ai découvert que l’œuvre ne se mesure qu’à l’aune de sa langueur et de sa capacité à être indolente tout en étant instinctivement attachée au labeur. J’ai une créance indéracinable en l’écriture qui se désintéresse de l’éloquence obstinée voire forcée à telle enseigne que de ne plus avoir à cœur les choses toutes simples qui peuvent agrémenter plus que l’on ne pense.

 

      J’ai, du reste, beaucoup de mal avec les conceptions surannées qui s’obstinent à faire de l’écriture une fin en soi. Quand à la ferveur de la passion artistique, on ajoute un rabiot de quête de résultat, lorsque sous la flamme de l’affection pour les Lettres, vient se glisser l’insidieuse atteinte d’un objectif, l’écriture perd sa quintessence pour ne devenir qu’une coquille vide. L’expression ‘‘écrire pour vivre’’ est, tout bien considéré, assez foireuse en cela qu’elle consacre implicitement l’accomplissement d’un fantasme existentiel. L’écriture est, à mes yeux, une passion. Rien de plus ni de moins. Et une passion, ça ne s’explique pas, ça se vit. Toute tentative de justification finit par s’engloutir dans la trivialité d’un inachèvement. L’on se perd dans des explications de basse bagatelle.  L’écriture est tout sauf une fin en soi, elle est le couronnement d’un ravissement.

 

      Au demeurant, il est des scribouillards qui se disent écrivains de par le succès rencontré auprès d’un certain lectorat. Il en est certes, mais il en est que trop. D’aucuns possèdent le génie d’enchanter les lecteurs et méritent le succès. C’est tout à leur honneur. C’est toutefois rater le coche que de s’astreindre, à tout prix, à la recherche du succès. Qu’est donc le succès sinon la permission de continuer ? Tout écrivain devrait écrire comme s’il n’allait jamais être lu ou se pendre.

 

      Au terme d'écrivain, je substituerais volontiers celui d’écrit vain. Un ‘‘écrit vain’’ vivifié par la flamme de la passion et des horizons purs faits d'un florilège d'embruns et de voilures ouvertes au désert et aux vents. 

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